Aux grands maux les grands remedes

Robert Smith ou le chat du Cheshire, Pierrot lunaire ou fantasmagorie à la Lewis Carroll. Robert Smith, leader des Cure, le groupe qui a su introduire le baroque avec finesse dans une décennie qui, a priori, était vouée a la plus complète informatisation, après le moule punk tellement étroit. Les Cure sortent maintenant leur onzième album “Disintegration”, nouvelle plainte vénéneuse dans un jardin touffu comme l’Eden.

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Curieux album en forme de longue ballade, bien loin de la furie psychédélique de ” The Top “, de l’apocalypse empourprée de ” Pornography ” ou de la neige sale et tuante de ses premiers opus majeurs, ” Seventeen Seconds ” et ” Faith “. Plutôt la logique continuation de ” Kiss Me… “, avec partout des nappes de synthés et une voix comme un murmure.

Smith, plus enfant que jamais, nous donne avec ” Disintegration ” l’album le plus accessible, tandis que Lol Tolhurst, cofondateur du groupe avec Robert, s’en va pour aller planer dans des cieux plus cléments. La famille Cure, avec l’ancien clavier des Psychedelic Furs, entamera sa tournée européenne en juin (cinq dates en France) pour aller derrière le Rideau de fer et en revenir en juillet (six dates en France), un mois à  peine après la sortie de l’album, le 2 mai.

Le nouvel album est assez curieux : des suites d’accords aux synthés avec quelques notes de guitares très discrètes par-dessus…
Je ne compose plus à  la guitare. C’est terminé. Seulement du piano avec une basse. En fait, c’est une basse six-cordes, Fender.

C’est un choix plutôt bizarre. Quelles cordes utilises-tu ?
Ça n’est pas un choix bizarre. J’utilise la basse 6 depuis ” Faith “, toujours comme une guitare. ” Pornography ” a été entièrement enregistré avec la basse 6. Quant aux cordes, elles étaient fabriquées par Rotosound ; elles deviennent très dures à  trouver. Elles sont très fines. Le tout sonne comme une guitare assez… originale.

Ton jeu de guitare a toujours été très élaboré : les soli en accords sur ” Seventeen Seconds “, l’utilisation des cordes à  vide et des harmoniques, des tunings inhabituels…
Je ne suis pas vraiment un guitariste. J’aime bien la guitare mais je ne travaille jamais. Je ne jouerai presque plus de guitare sur scène. C’est assez curieux d’ailleurs ; je ne sais pas vraiment qui joue avant que nous ayons commencé le morceau. Mais c’est tellement agréable de pouvoir chanter sans avoir à  jouer…

Ta voix a changé plus aiguà«, plus claire…
Elle est tout simplement meilleure ; avant, c’était la catastrophe.

Tu utilises beaucoup d’effets; flanging, phaser, delay.
On se sert des Boss. Parce que ce sont les seules à  être de couleurs différentes. C’est facile à  reconnaître sur scène, surtout quand tu es saoul (rires).

Penses-tu que les Cure ont eu de l’influence sur toute la nouvelle scène anglaise : Jesus And Mary Chain, The Essence, The Pollen…?
Je ne sais pas. Je suppose qu’on a dû influencer des gens. Mais plutôt de façon spirituelle ; pas musicale. Parce que nous sommes comme ça. A la base, c’est l’esprit du punk musicalement, tout le monde peut faire ce qu’on fait. Peut-être que les gens qui nous écoutent souvent sont imprégnés de notre façon de voir les choses. Mais en général, je déteste les groupes qui essaient de sonner comme The Cure. En fait, il y a un bon groupe, des filles japonaises qui font une reprise d’un de nos morceaux sur ” Seventeen Seconds “.
(Robert se met à  chanter en japonais, avec une voix de geisha)

La production sur ” Disintegration ” semble beaucoup plus importante qu auparavant, notamment si l’on pense à  ” Kiss Me ” qui était presque ” live in the studio “.
Je ne crois pas. Avant l’enregistrement, on avait tous les sons que l on voulait sur des bandes. La production a donc été très facile. C’était juste une question de mixage. En fait, l’album était complètement terminé avant Noël. En l’écoutant, en janvier, le son ne me plaisait pas du tout. J’ai décidé de le remixer pour qu’il sonne plus ” gros “. L’album est quasiment produit par nous. Le producteur n’a aucun pouvoir artistique sur notre travail. Il est juste à  la console.

En France, beaucoup de vos fans sont très jeunes. Votre image compte énormément pour eux…
Dans le groupe, on a tous des frères et des soeurs beaucoup plus jeunes. C’est vrai que beaucoup de jeunes écoutent de la musique atroce. Je pense que nos fans nous aiment parce qu’ils nous pensent différents. Au fil des ans, nous ne changeons pas tant que ça, même si nous nous renouvelons. Ce qui crée ce lien tellement fort entre Cure et son public, c est qu il nous fait confiance. Il sait que nous serons toujours différents, meilleurs. Nous ne décidons pas de notre image, le maquillage, les cheveux… Nous avons une vie en dehors du groupe, les gens l’oublient trop souvent.
Nous sommes comme ça dans la vie. Pour nous, c’est avant tout une façon de vivre confortablement. Je me sens bien quand je suis comme ça.

Beaucoup de gens refusent de vous suivre quand vous abandonnez votre côté sombre et désespéré…
Ça a commencé il y a quatre ans. Mais ça ne m’affecte pas vraiment. De toute façon, les concerts que nous allons donner au cours de notre prochaine tournée, seront beaucoup plus sombres et intenses que les derniers. Le problème, c’est que lorsque nous jouons sur scène, les gens veulent entendre The Walk ou Lovecats et tous ces trucs poppy. Quand ils sont saouls, ils peuvent chanter fort, brailler. Si l’on joue des morceaux comme All Cats Are Grey ou Faith, une partie de l’audience restera calme et nous écoutera tandis que les autres foutront le bordel. Ils sont juste là  pour danser et boire. Si nous jouons Faith et que j’entends quelqu un au premier rang me traiter d enculé, je suis capable d’en pleurer. C’est très difficile de garder le contrôle du public. C’est un dosage très délicat. Nous allons d’ailleurs rejouer ces morceaux sur scène. Nous avons voulu retrouver l’esprit de ” Faith ” sur ” Disintegration “.

Tu as souvent dit que tu n’aimais pas ” The Top “, qui reste à  mon avis votre album le plus psychédélique, avec des chansons complètement folles comme Give Me It ou Bananafishbones…
J’ai dit ça parce que je suis persuadé que ça aurait pu être un album vraiment génial, brillant. La moitié des chansons sont bonnes. Shake Dog Shake ou Give Me It sont vraiment excellentes. C’est bizarre, les chansons sont souvent bonnes, mais l’album est assez mauvais. Il n’a pas d’identité. Je crois que c’est parce que je n’ai pas aimé le réaliser (Smith a quasiment fait tous les instruments, NDR). Ça me rappelle de très mauvais souvenirs. C’était une période difficile pour moi ; j étais vraiment dépressif. ” The Top ” est imprégné de cet état d’esprit. J’ai beaucoup de mal à  le réécouter. Curieusement, ” Pornography ” qui était pourtant beaucoup plus noir, reste un bon souvenir. Je pense encore que c’est un très bon album.

Tu vois toujours Steven bassiste des Banshees avec qui tu as enregistré ” The Glove “?
Non, je ne l’ai pas revu depuis notre dernier concert à  Londres, en 1987. Je ne pense pas le revoir ou faire quoi que ce soit avec lui. Je ne sors plus jamais à Londres ; je reste chez moi ou je pars à  la campagne.

Tes chansons sont souvent inspirées par des rêves ou des cauchemars, comment as-tu écrit ” Disintegration ” ?
Il n’y a plus de rêves sur cet album. La plupart des chansons sont basées sur la réalité ; l’écriture a été très spontanée. Désormais, j’aspire à des choses simples. J’ai commencé comme ça sur ” Kiss Me “, avec des morceaux comme Just Like Heaven ou Catch.

Tu avais un projet de bouquin, The Glass Sandwich… Tu écris beaucoup ?
Je terminerai ce livre quand je ne serai plus dans le groupe. Je n’écris pas beaucoup mais souvent et depuis longtemps; des petits trucs. Si je veux vraiment écrire, j’arrive à  terminer une histoire en un an. Je dois donc déjà  avoir une quinzaine de récits.

Ça n’a pas été difficile de vous séparer de Lol qui était là  depuis le début ? Ça ne va pas être trop dur de continuer à  jouer sans lui, comme le Floyd sans Barrett ?
(Souriant) Non vraiment pas, c’est plutôt un soulagement. Il a tellement changé avec le temps… C’est certainement celui qui a le plus souffert d’être resté dans le même groupe pendant dix ans. Physiquement autant que mentalement, il était dans une complète déchéance. Il buvait beaucoup trop, même pour nous ! Le problème, c’est que Lol n’avait pas vraiment de vie en dehors de Cure. Pour moi, le groupe est une façon d’avoir un plus, de connaître d’autres choses. Tandis que pour Lol, c’était un peu un sac dans lequel il ne portait rien mais qui lui permettait de se croire en voyage perpétuel. Musicalement, il n’avait plus aucun rôle depuis longtemps. Mais on s’en foutait, le problème n’était pas là , il pouvait rester tant qu’il voulait : le groupe était autant à lui qu’à moi ou Simon. Mais à partir de ” Kiss Me “, il s’est mis à devenir très intolérant. Il ne nous parlait plus du tout et il ne composait plus. Quand on le lui disait, il se saoulait, tous les soirs. Il était tellement dépressif ! Ça a été très choquant pour lui de devoir quitter le groupe; mais ça l’a également été pour moi.

Ecoutes-tu beaucoup de musique ?
Récemment, j’ai acheté beaucoup de musique chantée par des enfants, des chorales. Egalement des disques de berceuses. J’aime bien ce genre de trucs. Sinon, dans les nouveautés, je pense que My Bloody Valentine est assez intéressant. Simon, lui, écoute beaucoup de trucs disco. Il aime bien les machins stupides, ça le fait beaucoup rire. Moi, j’écoute énormément de musique classique : Chopin, Debussy, Ravel. Beaucoup de musique médiévale aussi, surtout du luth. Je n’aime pas la musique classique contemporaine. J’apprécie les trucs simples, très simples; comme Satie, c’est bon pour réfléchir. C’est aussi un peu notre façon de composer; des mélodies simples, minimales et climatiques. ” Seventeen Seconds ” est très proche, dans l’esprit, des Gnossiennes ou des Gymnopédies.

Allez-vous tourner dans les pays de l’Est ?
On va jouer en Russie, en Hongrie, en Yougoslavie. li n’y a aucun symbole politique derrière tout ça, nous n’avons aucun message à délivrer. Nous voulons simplement que les gens qui nous aiment nous voient directement, ce qui est légitime, je pense. Nous voulons qu’ils nous connaissent autrement que par nos disques. On s’en fout que ce soit à  l’Est. Pour nous, ce sont simplement des pays où nos fans ne nous ont jamais vus. C’était pareil en Amérique du Sud, une expérience fantastique. Nous préférons la scène au studio.

Que pensez- vous des groupes comme Simple Minds ou U2, qui se sentent très concernés par les problèmes politiques et qui souhaitent participer par tous les moyens à un mouvement de contestation ?
(Visiblement gêné) Je n’ai jamais aimé Simple Minds ou U2. Tout ça, c’est juste du rock n roll. Je n’ai aucune affinité avec ces gens-là . Je suis aussi sensible qu’eux aux problèmes de tous les jours, politiques, sociologiques, etc. Mais ça n’est pas mon métier d’essayer d’y répondre. Je suis chanteur, pas politicien. Le pouvoir que j’ai est déjà  suffisamment gênant pour que j’essaie de le rendre plus important.

Le style de Cure est très particulier. Les gens ont de vous une image très précise. Penses-tu pouvoir apporter quelque chose de nouveau ? Tu parlais tout à  l’heure de renouvellement…
C’est difficile pour moi d’en parler parce que je ne vois pas les Cure de la même façon. Il y a eu plusieurs Cure, beaucoup de line-up très différents. On parlait de ” The Top “; le groupe actuel aurait été parfait pour cet album ; le disque aurait été génial, c’était du sur mesure. De la même façon, les Cure de ” Seventeen Seconds ” ne pourraient pas jouer ” Disintegration “. Pourtant, à  la base, l’idée générale de Cure, le concept, l’odeur et le goût du groupe ont toujours été très précis. C’est pourquoi j’ai sans arrêt eu l’impression de jouer dans le meilleur groupe de rock, même avec des line-up différents : j’ai toujours été dans une formation, quelle qu’elle soit, qui correspondait, d’un point de vue éthique, à ma façon de voir les choses. C’est ce qui fait la force de Cure, une idée très précise du groupe. Voilà  pourquoi je dis qu’il n’a pas beaucoup changé : l’idée de base est identique. En même temps, nous avons su nous renouveler et je pense que la formation actuelle est la bonne. Nous sortons pourtant un album qui est différent du précédent.

On a beaucoup parlé d’un album solo de Robert Smith. Qu’en est-il ? “Disintegration” est-il vraiment un album des Cure ? Jusqu’où va la participation des autres membres ?
L’album solo n a jamais été une décision définitive. Plutôt un truc ponctuel, comme ” The Glove “. J’ai abandonné le projet. Je pense que si nous nous séparions, nous en mourrions. Quant à la démocratie au sein du groupe, elle est désormais établie. Les problèmes survenus à  l’époque de Let’s Go To Bed, étaient dûs aux trop lourdes responsabilités que j’avais eu avec ” Pornography “, quand je voulais tout superviser. Désormais, tout le monde participe à  la création des albums ; chaque membre apporte ses idées, ses compositions. Si elles plaisent à tout le monde, on décide de les enregistrer. Le groupe se porte très bien !

L’interview est terminée, Robert Smith se lève et quitte la salle. A chaque pas qu’il fait, son talon sort de sa chaussure et l’on a l’impression qu’il danse en marchant, son énorme tête d’Eraserhead penchée vers le sol. Tout à l’heure, alors que la meute furieuse de photographes enragés lui demandait de sourire, on pouvait voir que sa poitrine tremblait sous le pull difforme. Vaguement effrayé devant l’obscénité d’un tel spectacle, le leader des Cure souriait comme un enfant, en faisant des grimaces.

© Nicolas Ungemuth & Guitare & Claviers

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