So foot ces Anglais

Triste ou gai, le football ? Puritain ou sexy ? Socialiste ou âpre au gain ? Des questions que l’on devrait peut-être se poser à la veille du coup d’envoi de la Coupe du monde 2010. Pour les Anglais, de Liverpool à Manchester, l’art du ballon rond est depuis longtemps un débat sans fin.

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On a beau passer la maison au peigne fin, on ne trouve pas de télé. Pas la peine de s’en étonner, notre hôte bougon en serait probablement froissé. Ici, le football est une affaire sérieuse. On en parle plus qu’on ne le regarde. Il se vit au stade, au pub éventuellement, mais, entre les murs de cette bicoque ouvrière de Liverpool, c’est une source de réflexions infinies, un objet d’étude et d’auto-analyse. Pris dans un rai de lumière morne, un livre aux reliures d’un autre temps est ouvert sur un pupitre de la salle à manger, les pages sportives des quotidiens s’étalent en vrac sur la toile cirée. Dans la pièce voisine, les ouvrages s’empilent sur les rayonnages, selon une division bien précise : psychologie sur un mur, football sur l’autre. Le noyau dur de quarante années de recherches intenses et extravagantes. Des centaines d’autres livres sont rangés sur des étagères de l’université de Liverpool où Rogan Taylor, enfant du pays à l’accent rude et aux manières rugueuses, anime un cursus consacré au sport qui a englouti sa vie. Le foot, sujet de thèses ? « Dans cinquante ans, dit-il, les sociologues nous remercieront à genoux. » Comment pourrait-il ne pas y croire dur comme fer ? Il est anglais. De Liverpool. La ville de Bill Shankly, coach légendaire des années 1960, à qui un journaliste disait un jour : « Mais, le football, ça n’est quand même pas une question de vie ou de mort ? » – Réponse : « Vous avez raison, c’est bien plus que ça ! »

Le football est-il un leurre ? Non contents d’avoir donné au monde un sport qui compte près de deux cent cinquante millions de pratiquants et qui va occuper, pendant un mois, tous les esprits d’un continent à l’autre, les Anglais ont aussi inventé une forme de conversation particulière, qui part du football pour toucher à tout, au rock, à Dieu, à Marx ou Picasso… Une causerie qui oscille entre discours, fables et bavardage et prend souvent des tours illuminés. Ce jour-là, par exemple, avant d’en venir aux choses sérieuses, Rogan Taylor prépare le thé en marmonnant quelques banalités d’usage qui vont nous conduire aux espions russes. Dans la cuisine, le temps semble suspendu. La lumière est celle d’une grisaille anglaise de toute éternité. La fenêtre donne sur les murets qui ferment un jardin minuscule. A la radio, une voix d’homme mûr, élégante, égrène, sans émotion, les scores de rencontres qui se sont jouées la veille. On en vient naturellement à parler des commentateurs sportifs, ces héros, et de leur fonction rassurante. « Quand nous étions enfants, dit Rogan Taylor, le football nous offrait un cocon, un repère, une place dans le monde, les matchs se jouaient le samedi après-midi, avant la tombée de la nuit, l’annonce des résultats délimitait le périmètre de notre existence… »

“Est-ce qu’il y avait vraiment 2-2 entre Halifax
et Rochdale, ou les Russes faisaient-ils
circuler des scores bidonnés pour saper
le fondement de la démocratie occidentale ?”

Dans les années 1950 ou 1960, ils venaient toujours à la même heure, avec l’accent chaud et pondéré de la BBC, la douceur enveloppante de la météo marine. La famille était disposée dans la pièce selon un ordre qui semblait immuable, les noms de villes si proches ou si lointaines faisaient flotter le parfum d’une Angleterre imaginaire : « On a du mal à concevoir, dit Rogan Taylor, quelles prouesses humaines et techniques il fallait mettre en œuvre, en Angleterre comme ailleurs, pour rapatrier ces données des régions les plus dures et les plus éloignées… C’était une organisation qui mobilisait les forces vives du pays. Pour assurer notre équilibre. Nourrir notre obsession. » « Aujourd’hui, écrivent les auteurs d’une pochade sur les beautés évanouies du football (1), même les réseaux d’écoute planétaire déployés pour traquer Al-Qaida n’approchent pas la mobilisation qui était nécessaire pour nous fournir à l’heure les résultats de football. Les trois quarts de la redevance télévisuelle y étaient consacrés. Et l’action des hommes sur le terrain était d’autant plus remarquable que leur travail se déroulait sur fond de pagaille industrielle, de pannes de courant et de guerre froide. Est-ce qu’il y avait vraiment 2-2 entre Halifax et Rochdale, ou bien les Russes faisaient-ils circuler des scores bidonnés pour saper le fondement de la démocratie occidentale ?»

Le football donne-t-il le blues (ou est-ce l’inverse) ? Parmi les centaines de livres consacrés à la passion pour le foot qui s’entassent dans les bureaux de Rogan Taylor et de ses confrères d’université, beaucoup ont été écrits à partir des années 1990. Une abondante littérature a fleuri d’un coup. Dans l’élan du succès phénoménal de Fever Pitch (Carton jaune), de Nick Hornby, confession intime d’un supporter d’Arsenal. A l’époque, l’écrivain, débutant et timide, était le premier surpris de son triomphe. Dans son atelier londonien, à quelques mètres du stade d’Arsenal (qui a déménagé depuis), il nous ouvrait des cartons de lettres enthousiastes proclamant invariablement : « Votre livre, c’est moi ! » Il s’enorgueillissait, ce jour-là, de la plus récente, signée Paul McCart­ney, mais aussi du nombre invraisemblable de messages rédigés par des femmes. « J’ai écrit ce livre pour elles, disait-il. Nous leur devons bien ça. Nos manies et l’univers étrange dans lequel nous vivons repliés ne facilitent guère les relations. Je voulais leur faire comprendre d’où nous venons. »

“J’avais le blues et quand je regardais
jouer mon équipe je pouvais le déballer
et le laisser s’épanouir.”
(Nick Hornby)

Comme le savent ceux qui viennent de suivre assidûment les matchs de préparation de l’équipe de France pour l’Afrique du Sud, une vie de supporter est un long cortège de jours moroses : « Si j’avais été filmé par le drapeau de corner n’importe quand entre 1968 et 1981, mon expression aurait été invariablement la même, écrit Nick Hornby dans Fever Pitch. Ce dont j’avais besoin plus que tout c’était d’un endroit où mon dés­es­poir sans objet pourrait s’épanouir, où je pourrais être tranquille, m’inquiéter et ruminer. J’avais le blues et quand je regardais jouer mon équipe je pouvais le déballer et le laisser s’épanouir. » « Le football est un sport sombre pratiqué par des gens sombres pendant des après-midi sombres », disait Robert Smith, le chanteur de Cure, dont le rêve absolu aurait été de composer une bande-son flamboyante, ténébreuse et romantique pour un match de son équipe fétiche, les Queen Park Rangers. Il confiait ça avec malice et passion, sans crânerie aucune. « Quand le football a commencé à devenir festif, latin et brésilien, nous nous sommes fait un devoir de rappeler la poésie de ses origines : la pluie, la boue, les stades des quartiers ouvriers où nous prenions place à côté de nos pères taciturnes pour regarder une équipe qui ne gagnait jamais. »

« Le football nous fera toujours souffrir parce que c’est une invention d’une extraordinaire perversité, affirme Rogan Taylor. La balle au pied : une idée délirante qui revient à demander l’impossible aux joueurs, à les condamner à l’imperfection permanente. A l’inverse du basket, où il est difficile de rater ses gestes, tout le monde sait qu’on n’arrive que très rarement à contrôler un ballon avec le pied. Du coup, la vie dans un stade est faite de douleur et de déception, on appréhende, on endure, on se résigne, on chante pour se donner du courage, on sent que rien ne se passera comme on veut. Et 99 % du temps, c’est le cas. L’amour du football est une longue affliction traversée d’éclairs divins ! »

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Le football a-t-il un sexe ? « Il faut bien que le corps exulte… » A l’heure du but, tout le monde tombe d’accord. L’euphorie est sans limite, l’air saturé de lumière, les étreintes franches et délicieuses. Rien au monde ne viendra gâcher ce sentiment de délivrance. « Le sport nous fait vivre dans un état second, confie Eric Cantona. C’est électrique et bouleversant. Comme un orgasme. Pour les supporters aussi, l’émotion est telle qu’ils ne savent plus où ils sont. La communion est totale. » « Marquer un but dans un match important, disait aussi Rodney Marsh, un des feux follets du foot anglais des années Beatles, est une jouissance dix fois plus importante que celle procurée par le sexe. On entend réellement le sang nous monter à la tête… C’est sans doute meilleur que la cocaïne. »

Il suffit d’écouter les commentateurs filer les métaphores, de suivre l’actualité printanière, ou de regarder Didier Drogba et Cristiano Ronaldo prendre la pose en caleçon moulant sur la couverture de Vanity Fair pour voir à quel point le football est habité par le sexe. Savoureuse ironie, si l’on en croit les historiens les plus pointilleux : ce sport collectif fut en partie inventé, dans les grandes écoles du XIXe siècle, pour lutter contre les pulsions dévorantes qui agitaient les jeunes hommes. « Il y avait une panique tellement répandue autour de la masturbation, écrit Katy Mullin, historienne de la littérature et spécialiste de James Joyce, que tout était mis en œuvre pour combattre la solitude, l’intimité et l’individualisme. » Pour ceux qui avaient en charge l’éducation de l’Empire, la jeune garde conserverait sa pureté si elle consacrait son énergie au groupe et à la pratique d’une activité très physique mais non sexuée. Katy Mullin s’amuse des expressions employées dans ces temps pré-freudiens pour encourager les garçons à prendre l’air et à se dépenser sur le terrain : « Jeune homme, prends-toi fermement en main » ou « Méfie-toi du serpent qui s’est glissé dans bien des écoles. »

Cantona a triomphé à Manchester.
Pas seulement parce qu’il était français,
mais artiste, peintre, fanfaron, matador,
beau parleur, séducteur et rebelle.
Le dernier des grands héros…

Soixante-dix ans après la première coupe du monde en Uruguay, beaucoup de questions restent encore (heureusement) à débattre pendant les semaines à venir. Le football est-il puritain ou sexy ? Rugueux ou sensible ? Anglais ou sud-américain ? Le monde se divise-t-il toujours aussi simplement entre le « romantisme » du football latin, le « drame » germanique, le « lyrisme » des équipes de l’Est et la « virilité » du jeu anglais ? « Discussion sans fin, dit Paul Laverty, supporter pour la vie du Celtic de Glasgow et scénariste de Ken Loach (pour Looking for Eric notamment). Nous avons longtemps tiré fierté de notre rudesse et de la vaillance prolétaire de nos équipes par opposition à la sophistication des étrangers, des Français en particulier, c’est ce qui rend unique le triomphe de Cantona à Manchester. Pas seulement parce qu’il était français, mais artiste, peintre, fanfaron, matador, beau parleur, séducteur et rebelle. Le dernier des grands héros… » Avant lui, il y avait eu, dans les années 1960, George Best, « le cinquième Beatles », qui, pour beaucoup, n’était pas un homme, un vrai, parce qu’il jouait de manière divine et imprévisible. « George Best la star / marche comme une femme / porte un soutien-gorge », chantaient ceux qui n’étaient pas de Manchester. Les frasques et les cuites de Best étaient aussi légendaires que ses dribbles, il portait les cheveux longs et était toujours prêt à culbuter n’importe quand, une des filles qui, par dizaines, lui collaient aux basques. Avec lui, le jeu est devenu érotique et n’a plus jamais cessé de l’être. « Les rapports sexuels ont commencé en 1963, écrivait le poète Philip Larkin, / (un peu tard pour moi) / entre l’interdiction de L’Amant de Lady Chatterley et le premier album des Beatles. »

Le football est-il socialiste ? Le club de Liverpool appartient aujourd’hui à des magnats américains qui investissent, comme c’est la mode, dans les produits dérivés, les nouvelles signatures de joueurs et la frénésie de l’instant. « Mais le football, dit Rogan Taylor, a toujours vécu dans le souvenir d’un esprit de communauté et de solidarité. Maintenant que le prix des entrées au stade est devenu prohibitif et que le kop n’est plus le kop, des cercles se reforment ailleurs, dans les pubs autour des écrans géants… Les supporters n’ont pas changé, ils attendent toujours la même chose de leurs joueurs. » Et en terre de football, il n’y a qu’un dogme, celui que défendait Bill Shankly, l’entraîneur du Liverpool des années 1960, figure paternelle d’une ville de légende : « Le socialisme auquel je crois, c’est le travail des uns au profit de tous, la répartition égale des efforts, des récompenses et des bénéfices. C’est ainsi que je vois la vie, c’est ainsi que je vois le football. »

“Mon père m’a toujours dit que nous étions les
plus forts du monde – et c’est ce que disent
la plupart des pères dans la plupart des stades.”

« J’adorais Bill Shankly, confiait Ian McCulloch, le leader d’Echo and the Bunnymen, parce que je retrouvais mon père en lui. Son humour extraordinaire sous des dehors stricts, son arrogance, sa loyauté. Mon père m’a toujours dit, comme Bill Shankly, que nous étions les plus forts du monde – et c’est ce que disent la plupart des pères dans la plupart des stades –, il m’a confié un souffle, une aura qui m’ont accompagné partout. Je respectais Shankly parce qu’il est resté fidèle à Liverpool jusqu’à la fin de ses jours. Tout a changé, les entraîneurs et les joueurs passent de plus en plus vite. En voyant s’évanouir cette loyauté, des villes comme Liverpool perdent leur sentiment d’invincibilité. » Supporter et actionnaire de la petite équipe de Bath, Ken Loach constate que « le football moderne n’est plus intéressant qu’au niveau des clubs modestes qui ont su préserver l’esprit d’une communauté. La mainmise de la finance et la folie du marché des transferts ont tout bouleversé. » Et d’ailleurs, si Loach devait faire un autre film sur le sport, ça serait sans doute l’histoire de Billy Meredith, dribbleur de génie de la fin du XIXe siècle qui descendit à la mine à 12 ans avant de chavirer le coeur des foules. Il jouait sur l’aile, en gardant toujours, aux lèvres, un cure-dent. Il gagnait trois livres par semaine. Quand les émissaires de Manchester City lui ont proposé un contrat, les gens de son village les ont pourchassés et jetés dans l’étang. « C’est bien beau de venir des grandes villes pour voler nos enfants, leur a dit la mère du prodige, mais il y a autre chose dans la vie que l’argent. » Billy Meredith a fini par partir pour Manchester. Où il s’est mis en grève contre la servitude du système des transferts et où il a fondé le premier syndicat de joueurs.

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Qu’est-ce que c’est que ce jeu-là, démoniaque et divin ?… demandait Marguerite Duras à Michel Platini. Réponse de l’idole : « Le football est aimé. Pourquoi est-il aimé ? Je vais vous le dire. Parce qu’il n’a aucune vérité. »

Laurent Rigoulet & Télérama

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Who’s the b**tard in the black ?

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Isn’t that the bloke from The Cure ? Robert Smith spills the beans on following the Rs, vying for the Three Lions slot, and how close he came to being the new Nigel Clough.

Twenty years ago the PE teacher at Crawley comprehensive made an important decision. He decided to drop the football team’s left winger. He kept getting knocked off the ball & he’d always been a bit difficult. He was the only kid in the team photograph who had long hair & he never listened to what you told him. The left winger gave up his boyhood dreams of playing for England, picked up a guitar & decided he looked better in black anyway. Several albums of inspired musical strangeness later & The Cure’s Robert Smith must reckon he got it right.

The Cure & football aren’t such a strange combination as you might think. OK, so it’s hard to imagine the Wembley faithful donning baggy black V-necks & heading off to Wembley to support the national team by swaying along to Lovecats or Boys Don’t Cry. And it’s true that ‘Three Lions on a shirt’ is easier to chant than some of The Cure’s more popular ditties. But Smith insists that football sits alongside music as the band’s great passion: ‘It’s not obvious from what we do musically, but we plan our tours around European Championships & World Cups.’

So how come Smith turned down the chance to don the outsize managerial jacket for Fantasy Football ? ‘They asked me to be one of the first managers but I didn’t want to upset Ron Newman.’ (Skinner had suceeded Newman as Baddiel’s partner in comedy.)
So who’re his team ? You’d expect the frontman of The Cure to support somebody slightly, well, unorthodox. Perhaps a faded European team trading on a glamorous past like St Etienne. Or a suitably obscure eastern European outfit – Ukrainian League stalwarts Metallurg-Viktor Zaporizhzhya for instance perhaps. Not a bit of it; Smith spent his youth cheering on QPR from the terraces at Loftus Road.

‘It’s a family thing,’ he says – slightly defensively. ‘My dad supported them & so did my brother. It taught me that there’s more to life than winning, anyway. I started going to Loftus in the Rodney Marsh era… sadly the legend’s been undermined by his subsequent TV appearances.’

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Smith’s mum had a slightly different role model in mind. ‘She really liked Nigel Clough,’ he remembers. ‘She still calls him young Nigel. That’s how she likes to think I’d have ended up if I’d persued my football career.’ You’ve got to wonder how things could have turned out in a different world – Cloughie bellowing instructions to Bob from the touchline at the City Ground while Nigel backcombs his side parting into that trademark explosion…

At least one of the current England squad repays Smith’s enthusiasm. Stuart Pierce is said to be an avid Cure fan & was spotted by the band at one of their concerts. ‘He was wearing a shellsuit… but at least it was black. And, anyways, who’s going to tell him it’s anything less than attractive ?’

The thought of Stuart Pierce listening to The Cure is only marginally stranger than that of a lissome Robert Smith the schoolboy dancing down the wing. ‘It’s hard to imagine which song he listens to,’ Smith confesses. ‘But I do like to imagine him rocking backwards and forwards in the dressing room with one of our songs in the background saying: “I’m going to go out & kill the bastard”, over & over again.’

Even if Psycho manages to persuade Glenn Hoddle to put Inbetween Days on the team stereo, Broudie & Skinner needn’t fret. ‘We submitted a song for Italia 90,’ recalls Smith, ‘but we didn’t get anywhere. It was too gloomy. Surprisingly.’

© Richard Pendleton & FourFourTwo Magazine

Throw your foot

Un nouvel album de The Cure était annoncé en juin 2006. Les fans attendent toujours. Aucune inquiétude cependant, ce genre de retard est une marque de fabrique chez Robert Smith. Autre travers connu : c’est un passionné de foot.

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Qui aurait pensé qu’en 2007, on parlerait toujours de The Cure ? A l’époque où des morceaux comme “Close to Me” ou “Just Like Heaven” enchantaient les postes de radio, on n’ignorait pas que le groupe de Crawley avait déjà une longue et riche histoire derrière lui. Mais il était difficile d’imaginer son avenir. Pouvait-il sortir indemne du succès disproportionné qu’il rencontrait, notamment en France ? Serait-il capable de cultiver sa fraîcheur au delà de l’an 2000 ?

Aujourd’hui, vingt ans après la sortie de “Kiss Me Kiss me Kiss Me“, le double album qui marqua la plus haute période de popularité jamais atteinte par le groupe, The Cure existe encore. Le groupe dont les premiers albums étaient gravés sur vinyl fait encore l’actualité musicale à l’heure des mp3 sur iPod. En fin stratège (étiquette qu’il refuse pourtant d’assumer), Robert Smith a su laisser retomber le soufflé du succès pour préserver l’intégrité de son oeuvre. Depuis “Disintegration” en 1989, LP dont le titre laissait présager la fin du groupe, The Cure ne sort plus ses albums que lors des années bissextiles. Après “Wish” (1992), “Wild Mood Swing” (1996), “Bloodflowers” (2000) et “The Cure” (2004), Robert Smith avait songé à briser ce rythme olympique, en sortant un album courant 2006. Finalement, retard aidant, le treizième album studio du groupe (hors live et compilations diverses) ne verra le jour qu’en 2007… si tout va bien.

Les vrais fans, de toutes façons, se doutaient bien que l’album ne sortirait pas en juin 2006 comme annoncé ça et là. En pleine Coupe du Monde ? Quelle idée… Robert Smith, comme tout anglais qui se respecte, est un amateur de foot. Un vrai. Pas seulement une diva qui s’affiche avec le maillot de son club favori lorsque la mode s’y prête, mais bien un acharné, un accro, un addict, capable de différer le début d’un concert pour cause de prolongations, de bâcler un set suite à une défaite contrariante, de demander l’annulation d’une tournée suite à la qualification inattendue de son équipe. On l’a même vu parfois, rare concession démagogique, retirer en concert son costume sombre pour revêtir le maillot de l’équipe locale.

Inutile de rechercher dans le répertoire de The Cure trace d’une éventuelle influence du beautiful game. Les textes de Robert Smith, c’est bien connu, sont d’une manière générale assez nombrilistes, l’auteur employant largement le “je” plutôt que le “jeu”. Lorsqu’il évoque le foot, c’est surtout dans les interviewes. Smith n’a jamais refusé de donner son avis sur le sujet. A la question bateau “Que souhaitez vous pour l’année 1992 ?” posée par un numéro de fin d’année du Melody Maker, le leader de The Cure répondit de manière toute aussi banale : “Une fin à toutes les guerres, famines et autres maladies, une harmonie raciale, religieuse, politique et sexuelle, la paix et l’amour…“. Puis il ajouta : “l’Angleterre gagnant le championnat d’Europe et QPR gagnant la Cup“.

QPR, les trois lettres sont lâchées. On tient là le nom de son club favori, Queen’s Park Rangers : “J’aimerais dire que c’est une grande équipe mais c’est plutôt une équipe imprévisible. Je les supporte très naïvement et loyalement car je l’ai toujours fait. J’allais voir jouer Rodney Marsh et Stan Bowles. Quelle paire ! Ils avaient pas mal de bons joueurs mais pour d’obscures raisons, ils s’en sont débarassés. C’est très frustrant de supporter QPR. Tu connais enfin le nom des joueurs et la semaine suivante, ils sont tous différents. Très spécial.” (Melody Maker, 29-04-1989). On dirait du Nick Hornby, non ? Dans une autre interview de 1989, Smith dévoile l’idée qu’il se fait de son club préféré. Lorsque le manager de l’époque, Trevor Francis, se fait remarquer en engueulant un joueur parce que celui-ci déclara forfait pour cause d’heureux évènement, Smith répond :”Francis a eu parfaitement raison. Comment penser qu’avoir un bébé est plus important que jouer pour QPR ? C’est outrageant !“. On ose espérer un deuxième degré dans ces propos…

The Cure aurait donc pu sortir un hymne à la gloire de Stan Bowles, mais d’autres (The Others) s’en sont récemment chargés à sa place, avec une belle réussite soit dit en passant. The Cure aurait pu composer un “World Cup Theme” pour l’équipe aux Trois Lions, mais il préfère rire de New Order, son rival déclaré. A défaut de l’inspirer musicalement, l’équipe d’Angleterre est un sujet qui préoccupe Smith. A l’époque où le vieux Paul Mariner voyait éclore le talent du jeune Mark Hateley à la pointe de l’attaque (ça ne nous rajeunit pas…), Smith se faisait sélectionneur : “Je préfère Hateley, de loin ! Mariner n’a plus d’influence sur le jeu. En vérité, je n’ai jamais aimé Mariner, il a une coupe de cheveux terrible. Et puis je trouve que Hateley est comme le Malcolm McLaren du foot : un but et il devient milliardaire” (Melody Maker, 29-04-1989). Pour l’analyse technico-tactique, on repassera…

En France, l’attirance de Smith pour le foot a longtemps été occultée. Ce n’est qu’en 1990, à l’occasion de la sortie de “Mixed Up“, très dispensable compilation de remixes du groupe, qu’un journaliste français consentit à sacrifier de larges colonnes pour la passion de Smith pour le ballon rond. Gloire donc doit être rendue à Youri Lenquette, pour son travail réalisé pour feu le magazine Best, ex-rival de Rock’n’Folk. On y apprend donc, en français dans le texte, que Smith s’intéresse depuis toujours au ballon rond : “J’ai commencé à aller voir des matches avec mon père à l’âge de sept ans. Il en a été ainsi jusqu’à mes quinze ans environ. Je n’y vais plus très souvent aujourd’hui. De temps en temps lorsque l’Angleterre joue“. Il avoue en outre être un médiocre footeux, mais toutefois persévérant : “On essaye d’avoir toujours un ballon avec nous. Quand nous sommes en studio, on essaye de jouer avant le dîner. A un moment on avait fait une équipe Cure. On jouait contre les équipes de techniciens locaux, ou de journalistes… On a arrêté parce que nous n’étions vraiment pas bons“. N’est pas Bob Marley qui veut…

Smith aprécie toutefois le foot justement parce qu’il ne nécessite pas obligatoirement une grande maîtrise : “Ce que j’aime dans le football, c’est l’aisance avec laquelle on peut le pratiquer. Un ballon, un bout de terrain plat et tu peux jouer. J’apprécie aussi le fait que tu n’as pas nécessairement besoin d’être bon pour commencer à t’amuser. C’est à la fois un jeu d’équipe et un jeu individuel, un jeu où l’essentiel est de s’amuser, pas forcément de gagner. C’est valable même lorsqu’on est supporter. L’équipe dont je suis fan en Angleterre, celle que supportait déjà mon père et mon grand frère, ne gagne quasiment jamais. Peu importe, j’y vais pour le plaisir convivial, l’impression de perpétuer une tradition de sortie familiale.”

Justement, le plaisir du jeu n’est-il pas en train de se diluer dans le foot-business d’alors ? “Le football, comme la musique, a une fabuleuse faculté à surmonter les obstacles et se régénérer précisément parce que subsiste cette notion de plaisir. Peu importe ce qui déconne dans le business, il y aura toujours des gens qui auront envie de prendre des instruments ou un ballon et jouer pour le simple plaisir de le faire“. Plus tard, en 1993, Smith donnera son sentiment sur un club à la mode, l’Olympique de Marseille : “Pour un Anglais, le sud de la France c’est le bout du monde, c’est très méditerranéen, très latin. Surtout Marseille. Mais il y a une excellente équipe de foot. Ils sont si bons qu’on se demande pourquoi ils ont dû arranger des matches…“. Vous avez dit matches arrangés ? “Je ne pense pas que la corruption puisse toucher l’Angleterre. C’est une mentalité différente entre les coaches et les équipes“. Une naïveté touchante, digne d’un rédacteur de kicknrush.com, non ? Pour en revenir à l’OM 1993 : “Marseille et Milan qui arrivent en finale, c’est le choc des super-egos de deux managers, c’est presque de l’idéologie nazie : “C’est moi qui ait réalisé cette énorme réussite ! Moi ! Avec ma volonté, mon super-ego !”. Si Tapie a des ambitions politiques, je crains le pire…“. Treize ans plus tard, si on parlait de Abramovitch, Glazer and Co ?

Retour à l’interview de 1990, où l’actualité du foot est alors marquée par le hooliganisme : “Je trouve que les Anglais sont traités différemment des autres peuples en Europe. Nous sommes plus détestés. II faut reconnaître qu’il n’y a rien de pire que des Anglais en groupe pour ce qui est de faire du bruit et se tenir mal (…). Ajoute à ça l’attitude de la presse anglaise qui joue un double jeu vis-à-vis de ça. D’un côté ils condamnent, mais de l’autre tu sens poindre comme une espèce de satisfaction nationale-virile : “Oui, nous sommes la nation la plus dure du monde”… Résultat, les autres pays commencent à faire pareil. Si ça continue on va offrir une coupe au pays dont le plus grand nombre de ressortissants aura été expulsé pour mauvaise conduite (…) Le problème avec le foot c’est la manière dont les gens sont traités, comme des animaux parqués dans les stades en Angleterre. A force, certains finissent pas se comporter comme tels. Cet élément d’agression n’existe pas dans la musique, quoique certains de ces gros festivals ne sont pas si loin de ce qui se passe dans les matches de foot“. Smith fait sans doute allusion ici à un concert très chaud que The Cure donna en Argentine courant 1987. Un stade surchauffé, une ambiance surréaliste marquée par de nombreux incidents dans les tribunes.

On le voit, Smith aime comparer le foot et la musique : “J’avais des amis dans les deux camps. Je jouais dans l’équipe de football l’après-midi. Et le soir j’allais voir des groupes au pub. Quand j’ai arrêté l’école j’ai arrêté de jouer au foot, et donc de fréquenter des sportifs. Mes meilleurs amis étaient plutôt du côté des musiciens, du côté de ceux qui déliraient, mais je tenais absolument à ne pas être contraint à faire un choix entre les uns ou les autres. Ce n’est pas évident dans la mesure où l’on ressent assez violemment la pression de ses pairs quand on est adolescent. Pour ceux qui jouaient au foot, j’étais un peu le bizarro“.

On l’aura compris, Smith est intarrissable en matière de ballon rond. On pourrait encore citer ce qu’il pense de tel joueur ou tel entraîneur, lui demander ses pronos pour la prochaine journée, le faire participer au kick’n’bet… Il y a un an ou deux, Thierry Ardisson avait eu la bonne idée de réunir sur le même plateau, au milieu d’autres invités, notre ami Smith et Eric Cantona. Les deux hommes se rencontraient pour la première fois, et semblaient sur la même longueur d’ondes. Il ne fut malheureusement, dans leur discussion, jamais question de foot.

13 février 2007

© Richard N.